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Connexions est une oeuvre constituée de deux objets : mon premier hochet, réalisé en 1983 par Fred Wilnauer (sur la gauche) et un objet que je lui ai demandé de fabriquer en 2023 (à droite). 

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Un rectangle de bois

Est-ce un cadre ? Un encombrant bracelet ? Un hula hoop rectangulaire  pour index ? Un anneau de dentition ?

Tout à la fois ou bien plus encore ?

La forme appelle la main. L’objet, pourtant épais, est étonnamment léger. Et doux.

Le bois est poreux. À température ambiante, il se réchauffe dans les paumes. C’est une matière d’échange.

Une matière qui conduit les sons, les absorbe ou les réverbère. Ecoutons-les, créons des bruits au contact de l’objet et varions-en à l’envie la nature. 

De tout près ils s’affinent, se font intimes autant que le volume s’amplifie. Si l’on encadre l’oreille en la plaçant au milieu et que l’on se met à gratter la partie qui se trouve devant elle et celle qui se trouve derrière…qu’entend-on ?

La forme raconte quelque chose. Elle porte les traces du travail des mains qui ont fait pour que d’autres mains saisissent, écho à  l’époque où ces mêmes mains, celles de Fred Wildnauer, ami proche de la famille de l’artiste Coline Irwin, avaient façonné pour elle son premier hochet, lointain ancêtre de l’objet.

 

Pris pour tel.

Posons l’objet dans la main.

De la même manière que les Prélivres de Bruno Munari amènent à s’interroger sur « qu’est-ce qu’un livre ? », ce rectangle de bois nous porte à nous questionner sur notre rapport à l’autre rectangle. Celui, plein et fermé, que l’on passe son temps à regarder mais qui nous empêche de voir.

Laissons la gestuelle instinctive prendre place.

L’écran frappe par sa transparence faite d’air, dont la netteté devient alors incomparable. Essayons de le regarder précisément en fixant l’espace qui relie entre eux les bords de l’objet: tout à coup ce qui se trouve au-delà devient flou, voire double !

Je peux voir ma main entière déployée pour tenir l’objet. Elle capte mon intérêt de manière insolite, la peau, les lignes, les ombres et la brillance, la couleur. Tout est autre et nouveau.

Si je scrolle, tape, swipe,

je caresse, tapote et chatouille.

En le prenant à deux mains, les pouces posés sur ses bords à la surface, je vois mes huit doigts alignés horizontalement qui le soutiennent et qui occupent toute la place. Ils ont l’air innombrables et gigantesques, comme s’ils avaient changé d’échelle. Ils commencent à évoquer d’autres choses : un matelas de boudins tordus, une foule animée de personnages qui se mettent à danser, des tentacules pleines de coudes…

Quand elle passe de l’autre côté de l’objet, ma main devient-elle une image ?

 

Allons avec l’objet explorer le monde environnant.

Plus on approche l’objet de son visage et plus le champ de vision s’élargit.

Plus on l’éloigne et plus le cadrage se resserre.

Si l’on tend le bras, en ayant les deux yeux ouverts, il devient difficile de faire la mise au point sur ce qui se trouve dans le cadre. Un œil se ferme inévitablement au profit de l’autre qui se concentre.

Cherchons du regard un élément, une composition intéressante à créer,

et pour cela passons ensemble du « voir «  au « regarder » !

Devenons conscients de notre regard, et entrons ainsi dans une démarche créative.

Jouons en accommodant notre vue pour élaborer des images abstraites.

Projetons notre regard au loin, très loin, jusqu’à le perdre dans le ciel qui change à chaque instant !

 Là ou avant nous regardions de trop près agitations prévisibles et paysages inertes.

Cadrer pour prélever, cadrer pour rencontrer

L’objet nous offre un contour, comme un emporte-pièce . On saisit un bout de réalité et on emporte avec soi l'espace d'un instant une image, un souvenir, une impression rétinienne.

A ce cadre échappe la permanence, le figé. Car tout autour il y a la vie, la surprise et le mouvement du temps présent.

Contrairement à l’autre objet censé nous connecter et qui nous déconnecte de tout et de l’autre,

celui-ci nous rend au monde.

Il devient alors possible de s’en extraire, sans en être coupé. Nous en faisons partie, décalons-nous pour jouer avec !

Peut-être se découvre-t-on intimidé de regarder, étonné par l’étendue infinie du réel qui s’offre à nous et par le fait qu’une personne extérieure nous observant peut voir notre regard, là où avant il était caché par l’écran.

Ne nous cachons plus, jouons ensemble ! Mettons l’objet entre nous et regardons-nous.

Si je zoome sur ton visage en approchant le mien de l’objet, un zoom simultané apparaît pour toi qui me vois de l’autre côté !

Est-ce moi qui te prends en photo ou toi qui me prends en photo ?

Avant de nous quitter, terminons par un selfie :

Nul besoin de vérifier notre image de l’extérieur puisqu’on n’y a plus accès. On projette alors sur l’écran vide une sensation de soi. On sourit et on ressent son sourire. On prend la photo au moment où l’on se sent beau, ce qui revient alors finalement au moment où l’on se sent bien.

 

Maya Bongrand (fondatrice de Tactiloptic)

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